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MEURTRES
À PÉKIN
Prologue
Les
rires
des deux enfants qui gambadent sur les sentiers
poussiéreux du parc Ritan, résonnent
dans l’aube comme les cloches d’un service
funèbre.
Leur
mère a demandé à la baby-sitter,
une fille de la campagne un peu endormie, de les
conduire au parc avant l’école. Pour profiter
de la fraîcheur matinale.
Un vieillard
en gants blancs et costume Mao pratique le tai qi.
Attirées par des sons étranges qui
proviennent d’un peu plus loin, les jumelles le voient
à peine. Elles se mettent à courir sans
tenir compte des appels de leur baby-sitter. Elles
dépassent un groupe en train de lire des
feuilles de poèmes tendues entre les arbres,
puis un banc où sont assises deux vieilles
dames en chaussons.
Sur les
marches d’un antique pavillon, un jeune couple
vêtu de noir fait une démonstration de
cha cha cha au son d’une musique crachotée par
un vieux phonographe. Juste derrière, des
hommes brandissent de longues épées
argentées et fendent l’air très
lentement, avec des gestes parfaitement
contrôlés, dans une sorte de parodie
grotesque de combat médiéval.
Une nouvelle
distraction s’offre à elles. De la fumée
sort d’un bosquet comme un épais brouillard
bleu. Avec une odeur étrange de viande trop
grillée. Au moment où la baby-sitter les
rattrape, les jumelles s’échappent à
nouveau en courant vers le sommet de la butte. La
jeune fille s’élance à leur poursuite.
La plainte d’un violon à une seule corde lui
parvient aux oreilles quand elle débouche sur
une clairière au centre de laquelle des flammes
s’élèvent d’une masse informe. Les yeux
écarquillés, les jumelles regardent. La
baby-sitter se fige sur place. Elle sent la chaleur du
feu sur son visage et se protège les yeux de
son éclat pour essayer de voir ce qui
brûle ainsi. Quelque chose bouge au milieu.
Quelque chose d’étrangement humain. Le cri de
l’une des petites filles la galvanise, et elle
réalise soudain que c’est une main
carbonisée qui se tend vers elle.
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LE
QUATRIÈME SACRIFICE
Prologue
Il sait qu'il va mourir. Il en éprouve
presque du soulagement. Finies les interminables
nuits solitaires. Finis les cauchemars. Il
peut enfin se libérer de toute la noirceur
qu'il traîne après lui, du fardeau qui
l'accable. Savoir sa mort si proche est
même temps effrayant. Mais la drogue a
refoulé sa peur.
Il est vaguement conscient de la familiarité
des choses qui entourent : les murs nus,
dégradés, le châssis
rouillé de la fenêtre, le linge qui
sèche sur le balcon. Il flotte encore
dans l'air une odeur de cuisine à lequelle se
mélangent des relents d'égouts, plus
forts quand il pleut comme maintenant. Il entend
le crépitement de la pluie sur les
vitres. Elle brouille les lumières de
l'immeuble d'en face, comme les larmes tièdes
et salées qui roulent sûr ses
joues. Un profond sentiment de tristesse
l'envahit soudain. C'est absurde ! Sa vie,
la vie de ses parents, et celle de leurs parents avant
eux, ont-elles eu un sens ?
Des mains rudes le forcent à se mettre à
genoux. On lui passe une corde autour du
cou. Il perçoit l'eclat rouge des
caractères quand la pancarte tombe devant ses
yeux. On lui tire les mains dans le dos.
Il sent le contact doux et familier de la soie autour
de ses poignets, puis une brûlure quand le
cordon se resserre brutalement. Il aurait
été moins brutal. Malgré la
drogue, la peur refait surface et lui étreint
la gorge. Un éclair de lumière
brille sur le Métal sombre et terne.
Unemain l'oblige à baisser la tête.
Inutile de résister. Inutile d'avoir des
regrets.
Il sent une présence sur sa droite, voit sur le
linoléum pâle l'ombre de la lame qui se
lève. Il avale sa salive. Aura-t-il
mal ? Que vaut son exécuteur ? Puis
fugitivement, il se demande se le cerveau cesse de
fonctionner dès l'instant où la
tête est coupée. Il entend le
sifflement de la lame et retient son souffle.
Non, cela ne fait pas mal, a-t-il le temps de se dire
alors que la pièce tourne autour de lui et
qu'il voit deux jets de sang s'échapper de
l'étrange apparition de son propre corps
décapité. Mais il ne pourra jamais
le raconter. Il y a tellement de choses qu'il ne
pourra jamais raconter.
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Sacrifice (en poche) SUR
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LES DISPARUES DE SHANGHAI
Prologue
Du fond de la
limousine, l'Américain ne distingue qu'un
brouillard gris-bleu à travers les trombes
d'eau qui se déversent du ciel. Il est venu
célébrer l'union de deux continents,
un lien puissant entre l'Orient et l'Occident. Mais
tout l'argent du monde ne suffira pas à le
protéger de l'horreur qui l'attend.
Des tours fantomatiques de verre et de métal
percent la brume. Sa limousine s'arrête. Des
parapluies noirs et luisants se rassemblent
immédiatement devant sa portière. Il
pose les pieds sur un tapis rouge; aussitôt,
des flaques d'eau se forment autour de ses
chaussures.
De l'autre côté des grilles ouvertes,
une forêt de tiges d'acier jaillit des blocs
de béton déjà coulés.
L'Américain sent l'eau froide s'infiltrer
entre ses orteils. Il jure intérieurement
mais sourit à ses hôtes chinois, ses
partenaires dans la plus grosse joint-venture
sino-américaine jamais tentée. Il a du
mal à croire que de ce site
détrempé naîtra la gigantesque
construction de verre et d'acier la plus haute
d'Asie destinée à devenir la New
York-Shanghai Bank. Il est néanmoins
rassuré de savoir que son poste de directeur
général fera de lui l'un des hommes
les plus puissants du monde.
Il monte les marches de l'estrade abritée par
un immense vélum et s'avance sous les yeux
des journalistes de la presse internationale ; les
projecteurs de la télévision inondent
cette matinée grise d'une lumière
blanc bleuté; les flashs des appareils photos
crépitent sous la pluie. Ses attachés
de presse ont bien travaillé.
Son homologue chinois s'approche en souriant du
micro pour le premier des inévitables
discours. L'Américain laisse ses yeux et son
esprit vagabonder. Une énorme trémie
les surplombe, son museau pointé vers la
profonde tranchée ouverte au pied de
l'estrade. Quand il baissera le levier, des tonnes
de béton se déverseront de sa gueule
dans les entrailles de sa future banque - fondation
symbolique sur laquelle il bâtira une fortune
sans précédent.
Une salve d'applaudissements le tire de ses
pensées. Une main sur son coude
l'entraîne vers le micro. Flashs. Il entend sa
propre voix, étrange, métallique,
diffusée par des haut-parleurs, les mots
appris par coeur; il ne peut s'empêcher de
remarquer que la tranchée béante se
remplit d'eau, une eau brune, épaisse comme
du chocolat.
Encore des applaudissements. Il sort de l'abri
du vélum et gagne une petite plate-forme en
saillie en compagnie d'un Chinois qui tient un
parpaluie au-dessus de sa tête pour le
protéger des trombes d'eau. Il saisit
lelevier d'une main puis, avec un sentiment de
maîtrise absolue sur sa destinée,
l'abaisse. Les visages se lèvent vers
la trémie. Tout le monde semble retenir
sa respiration. On n'entend plus que le
crépitement de la pluie sur la toile.
L'Americain sent le sol bouger sous se pieds.
Un craquement retentit, suivi d'un râle
étrange évoquant le dernier souffle
d'un mourant. Les étais supportant les
planches de la petite plate-forme carrée
s'effrondrent en même temps que les parois de
la tranchée. Il pivote sur
lui-même, agrippe la manche du bras qui tient
le parapluie, mais plonge déjà vers le
rideau de pluie. La sensation de chute dans le
vide semble durer une éternité.
Il ne reconnaît pas son propre cri. Le
choc de la boue froide et liquide lui coupe le
souffle. Il a l'impression que le monde entier
s'écroule autour de lui tandis qu'il se
débat pour ne pas être englouti.
Quand il voit un bras se tendre vers lui, il pense
Merci mon Dieu! Il attrape la main, sent la
chair se dérober sous ses doigts. Mais
il n'a pas le temps de
réfléchir. Il tire plus fort
pour tenter de s'extraire de la boue; le bras tendu
n'offre aucune résistance. Il comprend
alors qu'il n'est rattaché a rien. Il
le lâche aussitôt,
dégoûté, incrédule.
Il ented des voix crier au-dessus de lui, se
retourne, voit émergerd'un mur de boue les
seins, les épaules, puis le ventre d'une
femme. Elle n'ai ni bras, ni jambes, ni
tête. Pris de panique, il mouline avec
ses propres bras, lance des coups de pieds dans tous
les sens et se retrouve face à deux trous
noirs d'où les yeux ont disparu, au milieu
d'une chair pourrissante et de mèches de
cheveux maculées. Il sent sa gorge se
remplir de bile, ouvre la bouche pour hurler et, en
levant vers le ciel un regard suppliant, voit les
blocs de béton se dresser au-dessus de lui
dans la brume. Comme les pierres tombales d'un
cimitière.
haut de la page
CADAVRES CHINOIS à HOUSTON
Chapitre 1
Le shérif
adjoint J.J. Jackson, Jayjay pour ses
collègues du comté de Walker, planta
entre ses dents une allumette qu'il se mit à
mâchonner. Puis il ouvrit sa braguette et
projeta un jet jaune dans le lit
asséché du Bedias. Un peu de vapeur
s'éleva dans l'air frais du matin tandis
qu'il s'efforçait de viser la limite du
comté de Madison. Quelque part au nord,
au-delà des arbres qui rompaient la plate
monotonie du paysage texan, les prisonniers de
Ferguson Unit sortaient des cellules à
l'appel de leur nom pour affronter une nouvelle
journée d'incarcération. Lui, il
était libre de pisser dans le vent ; il
lui restait un peu plus d'une demi-heure avant
d'aller pointer, avant la fin de son long service de
nuit. Ensuite, il retrouverait son lit vide. Il
cracha l'allumette et regretta d'avoir
arrêté de fumer. Sûr qu'il
mourrait d'un empoisonnement au bois.
Les voix des Dixie
Chicks s'échappaient par la portière
ouverte. Absolument contraire au règlement,
mais, merde, il fallait bien se tenir
éveillé. Il enfila sa grande carcasse
derrière le volant, engagea sa voiture de
patrouille sur la 45, complètement
déserte, et fila vers le sud. Avant, Martha
lui laissait des crêpes à la
mélasse et une assiette de gruau de maïs
sur la table. Mais depuis qu'elle avait filé
avec son vendeur de clim, il allait prendre son
petit déjeuner à Huntsville, au
Café Texan, en face du tribunal du
comté, sur Sam Houston Avenue. Il s'asseyait
toujours dans la salle fumeurs pour pouvoir respirer
la fumée des autres.
Il se mit à
chanter avec les Dixie Chicks.
Un fast-food
mexicain se dressait un peu plus loin sur la droite.
Autant Jayjay aimait la bière avec sa
rondelle de citron coincée dans le goulot,
autant il évitait la cuisine mexicaine. Elle
lui filait des brûlures d'estomac. Il bifurqua
sur la route défoncée qui menait au
parking, une vaste étendue de macadam
poussiéreuse et vide. Enfin, vide à
l'exception d'un gros semi-remorque frigorifique
rouge. Normal. Les routiers s'arrêtaient
souvent pour fermer les yeux quelques instants. Mais
la portière du chauffeur était grande
ouverte et il n'y avait personne dans les parages.
Et le restaurant n'ouvrirait pas avant plusieurs
heures.
Jayjay descendit de
voiture sans couper le moteur. Il ne savait pas
pourquoi le camion avait attiré son
attention. Peut-être parce que le chauffeur
l'avait garé n'importe comment, sans
respecter les lignes blanches à moitié
effacées. Peut-être tout simplement par
instinct. Jayjay croyait très fort à
son instinct. Il avait senti que Martha allait le
quitter, au moins deux ans avant qu'elle se
décide à le faire. Mais ça, ce
n'était peut-être pas de l'instinct,
plutôt un souhait. Mais, nom de Dieu, ce
camion avait quelque chose de bizarre. Il
paraissait... abandonné.
Il enfonça
son Stetson sur sa tête, planta une allumette
entre ses dents et plaqua les mains sur les hanches,
l'index droit posé sur le cuir de son
holster.
Lentement, il
s'approcha de la portière ouverte en
lançant des coups d'œil nerveux de droite
à gauche.
– Hé,
là-dedans !
Personne ne
répondit.
– Y'a
quelqu'un ?
Il s'arrêta
devant le camion vide en chassant son allumette d'un
coin à l'autre de la bouche. Puis il se hissa
dans la cabine et se pencha vers la couchette. Elle
était vide.
Il redescendit sur
le macadam et regarda autour de lui. Où le
chauffeur avait-il bien pu passer ? Les Dixie
Chicks chantaient du R&B dans la voiture de
patrouille. Une légère brise soulevait
la poussière du parking ; le soleil
levant colorait en rose les nuages du petit matin.
Plus tard, ce même soleil brûlerait
tout.
Jayjay longea la
remorque sur les flancs de laquelle figurait en
grosses lettres noires fraîchement
peintes TRANSPORTS GARCIA.
En voyant les
grandes portes arrière de la remorque
entrouvertes, il eut un mauvais pressentiment. Il
sortit son pistolet du holster, plia le bras et
pointa le canon vers le ciel.
– Hé ! Y'a quelqu'un ?
cria-t-il à nouveau.
Il ne s'attendait
pas à obtenir une réponse, mais fut
tout de même déçu de ne rien
entendre. Il cracha son allumette et tira à
lui le battant gauche qui s'ouvrit lentement.
Immédiatement, une odeur de pourriture lui
sauta au visage. Avec cette chaleur, la marchandise
devait être périmée depuis
longtemps. Il vit des caisses empilées les
unes sur les autres : tomates, aubergines,
avocats, concombres. Il agrippa une poignée
fixée sur la porte pour se hisser à
l'intérieur de la remorque. La puanteur
était insoutenable maintenant, lourde,
aigre ; ça sentait le vomi et les
excréments. Il blêmit.
– Bon Dieu...
siffla-t-il entre ses dents.
Des caisses
étaient renversées de chaque
côté ; il dut les tirer pour
pouvoir avancer vers le fond. Des tomates et des
concombres roulèrent sur le sol
métallique. Soudain, un bras nu s'abattit
entre deux caisses, la main tendue comme pour lui
faire signe. Jayjay poussa un cri et sentit ses
cheveux se dresser sur sa tête. Rengainant son
arme, il commença à écarter les
caisses qui s'écroulèrent autour de
lui. Elles n'occupaient que le quart de la
superficie de la remorque. Mais l'obscurité
l'empêchait de voir ce qu'il y avait
au-delà. Pris d'un haut-le-cœur, il
décrocha à tâtons la torche
pendue à sa ceinture et l'alluma. Un cri
s'étrangla dans sa gorge lorsque le rayon
lumineux perça les ténèbres,
révélant des douzaines de corps
figés dans la mort. Bras et jambes
entrelacés, visages tordus par la douleur.
Vomi, sang, vêtements déchirés.
Visages livides d'Asiatiques, yeux
écarquillés, sans vie, comme sur les
photos des camps de concentration. Il recula en
chancelant, trébucha sur les caisses, glissa
sur les légumes pourris, et atterrit sur le
macadam avec une violence qui lui coupa le souffle.
Il resta un instant immobile, à se demander
s'il était tombé en enfer. Au loin,
les Dixie Chicks chantaient - l've seen 'em
fall, some get nothing and, Lord, some get it
all¹ .
1. J'les ai vus tomber, certains n'ont rien eu
et, Seigneur, d'autres ont tout eu.
PRIX
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JEUX
MORTELS A PEKIN
Prologue
Les nageurs
entrent par la porte sud, sur
Chengfu Lu. Ils
sont une dizaine ; leurs bicyclettes
dérapent sur la neige qui
commence à se transformer en glace,
mais la perspective de la
compétition du lendemain les
galvanise. Seule la mort qui les
attend en silence peut refroidir
leur enthousiasme.
Pour
l’instant, ils n’ont qu’une idée en
tête, plonger dans
l’eau tiède chlorée qui va glisser
sur leurs muscles minces et
fermes. C’est le dernier
entraînement avant la rencontre
avec les Américains. Une légère
appréhension leur serre le
ventre. Plus d’un milliard de
personnes comptent sur eux. Ils
sont les espoirs d’une nation. La
Chine. Une lourde respon-
sabilité.
Ils saluent
de la main le gardien qui les
regarde passer d’un
air maussade en tapant des pieds et
en serrant autour de lui
son manteau gris doublé de
fourrure.
Les nageurs
poussent des cris de joie dans la
nuit limpide, la
vapeur de leur souffle se dissipe
derrière eux comme la pollu-
tion que les autorités ont promis
d’éliminer du ciel de Pékin
avant que le monde entier ne fonde
sur la ville pour assister au
plus grand des spectacles. Devant
eux, les dix étages éclairés
du bâtiment principal jettent une
lumière froide dans l’obscu-
rité. Sur leur droite, les murs en
béton du département de
Technologie. Sur leur gauche, les
marches imposantes du département
de Droit. Devant eux, le vaste
campus de l’uni-
versité Qinghua, surnommé le MIT
chinois par un vice-prési-
dent américain. Mais ce n’est pas
la réputation d’excellence en
science et technologie de Qinghua
qui les intéresse. C’est la
réputation d’excellence de son
complexe sportif, le plus
moderne de Chine. C’est ici qu’ils
viennent de passer plusieurs
semaines à repousser les limites de
leur endurance sous les
encouragements de leur entraîneur.
Les
nageurs laissent leurs bicyclettes parmi les
centaines
d’autres alignées au pied des chambres des
étudiants. Le linge
qui sèche aux fenêtres est déjà raidi
par le gel. Ils traversent
l’esplanade en courant et en battant des
bras pour se réchauf-
fer, poussent la porte à double battant de
l’entrée est. L’air
chaud leur pique la peau. Ils longent les
couloirs déserts jus-
qu’aux vestiaires devenus si familiers,
synonymes de la dou-
leur de l’effort qui, ils l’espèrent,
portera ses fruits en quelques
minutes d’une extrême intensité. Cent
mètres papillon. Deux
cents mètres crawl. Dos crawlé. Nage
libre. Relais.
Ce
n’est qu’au moment d’enfiler leurs maillots
qu’ils remar-
quent son absence.
–
Sui Mingshan n’est pas là ?
–
Il devait nous retrouver ici, répond
quelqu’un. Vous ne
l’avez pas vu ?
–
Non...
Les
têtes se secouent. Personne ne l’a vu. Il
n’est pas là. Ce
n’est pas normal. Sui Mingshan est le plus
zélé de tous. Et cer-
tainement le plus rapide, le plus apte à
battre les Américains.
Le meilleur espoir des Jeux olympiques.
–
Il a dû être retardé par le mauvais
temps.
Ils
traversent le pédiluve, grimpent les
marches qui condui-
sent à la piscine – voix excitées
résonnant entre les rangées de
sièges vides des gradins, pieds nus
claquant sur le carrelage
sec. Au-dessus de l’extrémité nord du
bassin, l’horloge électro-
nique indique 6 heures 50.
Quand
ils le voient, ils ne comprennent pas tout
de suite.
Une mauvaise plaisanterie ?
L'ÉVENTREUR
DE PÉKIN
Chapitre I
Elle se
réveilla en sursaut, le cœur battant,
alertée par le cri qui traversait son
rêve. Ses rêves ne l'entraînaient
jamais très loin de la surface de sa
conscience, stagnant toujours dans des eaux peu
profondes où sons et lumières
restaient perceptibles. Elle se redressa, respira
à fond, scruta l'obscurité, distingua
des formes dans les ombres, et des taches de
lumière filtrant de la rue, à travers
les arbres. Elle ne fermait jamais les rideaux.
Ainsi, elle était sûre de voir plus
vite ce qui l'entourait, sans avoir besoin
d'allumer.
Ça
recommençait. Un son faible,
étouffé, d'un impact ravageur. Elle
n'en revenait pas de cette sensibilité
naturelle capable de détecter le plus petit
bruit, même pendant le sommeil, de
déclencher le réflexe qui l'avait
réveillée et alertée. Il y eut
un troisième cri, puis un quatrième,
suivis d'un long gémissement et d'une
série de sanglots ; son angoisse s'apaisa et
céda la place à la résignation.
Il fallait qu'elle se lève. Elle jeta un coup
d'œil à la pendulette posée sur la
table de nuit : 5 heures. Elle avait peu de chance
de se rendormir.
Elle se glissa
rapidement hors du lit, attrapa sa robe de chambre
sur le dossier d'une chaise et l'enfila en
frissonnant. Il n'y aurait pas de chauffage avant
une heure ; jamais elle ne s'habituerait au fait de
ne pas en avoir le contrôle. En ouvrant la
porte, elle regarda par-dessus son épaule la
forme recroquevillée de Li Yan ; il ronflait
doucement. Elle se demanda pourquoi la Nature
n'avait pas doté les pères de la
même sensibilité.
Li Jon Campbell
était couché sur le dos. Il
s'était découvert, le froid l'avait
réveillé. Et maintenant,
évidemment, il avait faim. Margaret abaissa
le côté du berceau pour prendre son
fils dans ses bras, tout en ramassant la couverture
dont elle l'enveloppa. Dans un mois, ils
fêteraient son premier anniversaire. Il
était déjà grand. Et aussi
vilain que son père, avait-elle
déclaré à Li. Avec ses
épais cheveux noirs et ses superbes yeux
bridés en amande, il ressemblait à
n'importe quel bébé chinois. Margaret
se demandait ce qu'il avait hérité
d'elle en dehors de ses surprenants iris bleus.
C'était étrange ; elle avait lu
quelque part que le gène des yeux bleus
était le plus faible, qu'il aurait
complètement disparu de la race humaine dans
quelques centaines d'années. Li Jon faisait
de son mieux pour rétablir
l'équilibre.
Elle le berça
en murmurant des mots doux, et l'emmena dans la
cuisine où elle prépara un biberon.
Les pleurs du bébé se calmèrent
; il lui attrapa le nez, le serra de toutes ses
forces comme si sa vie en dépendait, et ne le
lâcha que lorsqu'elle se laissa tomber dans un
fauteuil du salon et lui glissa entre les
lèvres la tétine en caoutchouc qu'il
mâchouilla avant de la sucer avec
avidité. Margaret profita de cet instant,
comme toujours, pour savourer cet îlot de paix
au milieu de la turbulence de son univers instable.
À vrai dire,
elle avait cessé depuis longtemps d'analyser
sa situation. Ce n'était pas un choix
délibéré. Plutôt un
processus d'élimination. Toute sa vie
tournait maintenant autour de Li Jon, à
l'exclusion de toute autre chose, ou presque. Elle
ne pouvait pas se permettre de s'appesantir sur son
statut semi-légal - elle partageait, sans y
avoir été autorisée,
l'appartement de fonction fourni par la police
municipale de Pékin au père de son
enfant. Elle survivait, de prolongation de visa en
prolongation de visa, sans oser penser à ce
qu'elle ferait si on le lui refusait un jour. Elle
n'avait pas de véritables revenus personnels
en dehors de l'argent que lui rapportaient les
quelques conférences données à
l'université de la Sécurité
publique. Elle n'avait pas approché une table
d'autopsie ni manié un bistouri depuis
presque un an. Elle ne se reconnaissait pas. Elle
n'était plus que l'ombre d'elle-même.
Un fantôme.
Li Jon
s'était rendormi quand elle le coucha dans
son berceau, s'assurant cette fois qu'il
était bien bordé, au chaud.
Elle-même était gelée. Elle se
dépêcha de retourner au lit, laissant
tomber au passage sa robe de chambre sur la chaise,
et se glissa entre les draps qui, eux aussi,
s'étaient refroidis. Frissonnante, elle se
rapprocha de Li Yan dont le dos, les fesses et les
cuisses irradiaient de la chaleur. Elle sentit sa
peau brûler contre la sienne. Li grogna en
essayant d'instinct de s'écarter de cette
source de froid. Elle se colla contre lui.
- Qu'est-ce que tu
fais ? marmonna-t-il encore endormi.
- Ah, tu n'es pas
mort. Ni sourd. Ni complètement insensible,
murmura-t-elle d'une voix qui lui sembla
résonner incroyablement fort dans le noir.
- Quoi ?
Il se tourna
à moitié vers elle, somnolent, les
paupières lourdes, émergeant d'un
sommeil très profond.
Elle glissa une main
froide en travers de sa cuisse et eut la surprise de
trouver son sexe en pleine érection.
- À quoi
rêvais-tu donc ? demanda-t-elle.
- Je rêvais
que je faisais l'amour avec toi, murmura-t-il.
- Mouais, admettons.
Il se retourna
complètement pour lui faire face.
- Ça fait un
moment.
- Oui.
Elle le serra contre
elle et sourit.
- Mais je vois que
tout fonctionne normalement.
- On devrait
peut-être faire un essai pour vérifier.
- Peut-être
bien. Ça risquerait même de nous donner
un peu plus de chaleur que le chauffage central.
- Juste un peu
plus...
Il frotta son nez
sur la peau froide de son cou et la sentit
frémir. Puis il fit glisser ses lèvres
sur son sein et les ouvrit sur la pointe
dressée, durcie à la fois par le froid
et le désir. Il lui donna des petits coups de
langue, la mordit jusqu'à ce qu'elle
gémisse, puis descendit sa main le long de
son ventre à la recherche de sa douce toison
blonde. Il sentit la longue zébrure verticale
de sa cicatrice, encore très laide.
Très éloignée d'une
minicicatrice esthétique. Il savait qu'elle
en était gênée. Il chercha ses
lèvres et la chaleur de sa bouche, se coucha
entre ses jambes écartées, puis la
laissa le guider à l'intérieur d'elle.
Il sentit un long frémissement la parcourir
comme un profond soupir, et son
téléphone portable se mit à
jouer l'Ode à la joie de Beethoven.
- Nom de Dieu,
siffla-t-il dans le noir.
Immédiatement,
il la sentit se relâcher sous lui. Elle avait
cessé depuis longtemps de lui demander de ne
pas répondre au téléphone, se
résignant à accepter son sort.
L'espace d'une seconde, il fut tenté de
laisser son répondeur prendre le message.
Mais Margaret s'était déjà
retournée ; le charme était rompu,
l'instant perdu. Il s'empara brusquement du portable
posé sur sa table de nuit.
- Wei ?
Margaret
écouta d'un air sombre le bref échange
qui se déroula en mandarin. Une modulation
bizarre à quatre tons qu'elle n'avait jamais
vraiment tenté d'apprendre. Et pourtant, elle
savait que c'était une langue que son fils
parlerait, et elle ne voulait surtout pas qu'une
partie de son fils lui échappe. Elle lui
enseignerait l'anglais, bien sûr. Elle
parlerait toujours anglais avec lui. Mais elle
savait d'expérience, après ces
années passées avec Li, qu'il y aurait
toujours en lui quelque chose de chinois, hors de sa
portée.
Li raccrocha, laissa
tomber le téléphone sur la table, et
roula sur le dos, sans parler, les yeux fixés
au plafond. Il y eut un long silence. Leur passion
n'avait pas été assouvie, mais elle
s'était évanouie. Finalement, il
annonça :
- Encore une.
Margaret sentit son
estomac se serrer.
- Une autre
mutilation ?
Il hocha la
tête. Elle eut mal pour lui. Elle savait
à quel point ces meurtres le troublaient.
C'était toujours pire avec les tueurs en
série. Plus on mettait de temps à les
attraper, plus ils faisaient de victimes. Des jeunes
femmes dans le cas présent. De jeunes
prostituées au visage juvénile
essayant de vivoter dans cette nouvelle Chine
gouvernée par l'argent. Chaque nouveau
meurtre était comme une accusation, un
constat d'échec. L'échec de Li, qui
finissait par se sentir coupable, responsable de
chacune de ces morts. Comme s'il avait tué
lui-même. Comme maintenant.
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