1 L'île
des chasseurs d'oiseaux (oct 2009 Editions du
Rouergue)
2 L'Homme de Lewis (oct 2011 Editions du Rouergue) 3 ... à venir 2012 PrologueCe sont des enfants. Seize ans. Échauffés par l’alcool et excités par l’approche du sabbat, ils s’enfoncent dans l’obscurité. Contrairement à d’habitude, la brise est légère et, pour une fois, tiède, comme un souffle sur la peau, doux et attirant. Dans le ciel d’août, une fine brume masque les étoiles mais la lune, aux trois quarts pleine, parvient tout de même à projeter sa lumière fanto- matique sur le sable laissé humide par la marée descendante. Avec douceur, la mer va et vient sur la plage. L’écume phosphorescente libère des bulles argentées qui restent accrochées au sable doré. Ils dévalent la route qui descend du village. Le sang leur bat les tem- pes avec force, comme des vagues s’écrasant au pied d’une falaise. À leur gauche, dans le port minuscule, la houle fait éclater en morceaux le reflet de la lune. Ils perçoivent les gémissements des petits bateaux tirant sur leurs amarres. Leurs coques s’entrecho- quent et se bousculent dans le noir, comme des enfants jouant des coudes pour se faire de la place. Tout en tenant sa main dans la sienne, Uilleam sent son appré- hension. Il a goûté la douceur de l’alcool mêlée à son souffle et l’urgence de son baiser. Il sait que ce soir elle sera à lui. Mais le temps presse. Le sabbat est proche. Trop proche. Il regarde sa montre à la dérobée avant qu’ils ne laissent derrière eux les lumières de la rue. À peine une demi-heure. Ceit respire fort. Effrayée, non pas par le sexe, mais par son père qu’elle s’imagine, assis à côté du feu, en train de regarder mourir les braises du foyer qui, comme à l’accoutumée, s’étein- dront vers minuit, avant que ne débute le jour de repos. Elle peut presque ressentir son impatience qui se transforme peu à peu en colère tandis que l’heure tourne et qu’elle n’est toujours pas ren- trée. Sur cette île dévote, rien ne change. Ses pensées se bousculent, luttent pour se faire une place au milieu du désir qui s’est immiscé dans sa tête et de l’alcool qui émousse sa résistance. Il y a à peine quelques heures, ce samedi soir semblait pouvoir durer éternellement. Mais le temps passe si vite lorsqu’on en a peu. Et là, ils n’en ont plus. La panique et la passion montent à l’unisson dans sa poitrine tandis qu’ils se glissent, près de l’eau, à l’ombre d’un vieux cha- lutier presque couché sur les galets. À travers la partie du han- gar à bateaux en ciment située à l’air libre, ils voient la plage en contrebas qu’encadrent des fenêtres sans carreaux. La mer semble éclairée de l’intérieur, presque lumineuse. Uilleam lâche sa main et fait glisser la porte en bois, juste assez pour qu’ils puis- sent passer. Il pousse Ceit à l’intérieur. Le local est sombre. Une forte odeur de gasoil, d’eau salée et d’algues emplit l’air, comme le parfum aigre du sexe adolescent, bâclé. L’ombre d’un bateau posé sur sa remorque se découpe au-dessus d’eux, deux petites fenêtres rectangulaires semblent surveiller la côte. Il la plaque contre le mur et aussitôt elle sent sa bouche sur la sienne, sa langue qui force le passage entre ses lèvres et ses mains qui lui saisissent les seins. Cela lui fait mal et elle le repousse. « Pas comme une brute. » Le bruit de sa respiration retentit dans l’obscurité. « On n’a pas le temps. » Elle sent la tension dans sa voix. Une tension masculine, faite à la fois de désir et d’anxiété. C’est alors qu’elle commence à regretter. Est-ce qu’elle veut vraiment que sa première fois ressemble à ça ? Quelques instants glauques dans un hangar à bateaux délabré ? « Non. » Elle le pousse sur le côté et s’éloigne vers la fenêtre pour y trouver un peu d’air. S’ils se dépêchent, ils peuvent encore être de retour avant minuit. Elle perçoit alors une présence, molle, froide et lourde et, au même instant, elle voit une forme noire émerger de l’obscurité. Elle laisse échapper un cri. « Nom de Dieu, Ceit ! » Uilleam s’approche d’elle. De la frustra- tion se mêle maintenant à son désir et à son angoisse. Soudain, ses pieds se dérobent comme s’il venait de marcher sur de la glace. Il tombe et son coude encaisse tout le choc. La douleur lui transperce le bras. « Merde ! » Le sol est couvert de gasoil. Il sent l’arrière de son pantalon s’en imprégner petit à petit. Il en a sur les mains. Sans réfléchir, il fouille ses poches à la recherche de son briquet. Ce n’est que lorsqu’il fait tourner la molette avec son pouce et que la flamme apparaît qu’il réalise le risque de se trans- former en torche vivante. Mais il est trop tard. La lumière jaillit soudainement dans le noir. Il se protège avec ses bras. Mais les vapeurs de gasoil ne s’enflamment pas. Rien ne s’embrase. La lueur de la flamme révèle alors un spectacle si ignoble que son esprit a du mal à saisir. L’homme est pendu par le cou aux poutres de la charpente, une corde effilochée en plastique lui fait pencher la tête d’une étrange manière. C’est un homme de grande taille, complètement nu, la chair bleuâtre de sa poitrine et de ses fesses pend en plis, comme un costume deux fois trop grand. Des boucles lisses et brillan- tes s’échappent d’une entaille qui traverse son ventre d’un côté à l’autre et restent suspendues entre ses jambes. Son ombre, pro- jetée sur les murs graffités et décrépis, danse au rythme de la flamme comme si des fantômes fêtaient l’arrivée d’un nouveau venu. Derrière le corps, Uilleam aperçoit le visage de Ceit. Pâle, les yeux cernés, pétrifié par l’horreur. Pendant quelques instants, il se persuade que la flaque de gasoil autour de lui est du carbu- rant agricole, teint en rouge par l’accise pour signifier qu’il est libre de taxes. Mais il finit par se rendre compte que c’est en fait du sang, épais, poisseux et qui, déjà, sèche et brunit sur ses mains. |
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